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Le dossier BNP Paribas devient une affaire d’Etats

La banque est accusée d’avoir violé des embargos américains contre le Soudan, l’Iran et Cuba. L’affaire en dix questions.

Il faudra patienter encore quelques semaines pour connaître l’ampleur des turbulences qui secouent BNP Paribas en Amérique. Accusée d’avoir violé des embargos économiques contre le Soudan, l’Iran et Cuba, la banque française est menacée d’une amende pouvant atteindre jusqu’à 10 milliards de dollars, d’une obligation de plaider coupable et de suspensions de certaines activités en dollars. Voici les principaux enjeux de l’affaire.

Qu’est-il reproché exactement à la banque ?

Les Etats-Unis accusent BNP Paribas d’avoir effectué des paiements en dollars en Iran, au Soudan et à Cuba. Ces transactions étaient parfaitement légales en Europe. Mais étant libellées en dollars, elles ont été compensées via la filiale de BNP Paribas à New York. C’est de ce point de vue qu’elles pourraient violer le droit américain, bien que les règles en la matière soient sujettes à interprétation. Washington a adopté un ensemble de mesures de sanctions à l’égard de pays ennemis. L’Ofac (Office of Foreign Assets) en ­contrôle l’application. Les Etats-Unis considèrent que toute opération faite en dollars doit être conforme à la législation américaine. S’adjugeant de facto une compétence extraterritoriale. Si les transactions s’étaient faites en euros, elles n’auraient pas pu être contestées par les autorités américaines.

 

Quelles sont les transactions mises en cause ?

Une grande partie des transactions passaient par Genève, où BNP Paribas est leader dans le domaine du financement du négoce de matières premières. Selon nos informations, des centaines de milliers d’opérations ont été examinées par la justice américaine, dont certaines seraient prescrites. Cet examen a permis de faire le tri et de ne retenir que celles jugées non-conformes. Elles représenteraient au total plusieurs milliards de dollars.

Y a-t-il eu fraude ?

Oui. L’enquête aurait montré que des transactions, réalisées avec l’Iran notamment, auraient été maquillées afin que les bénéficiaires finaux n’apparaissent pas. Réalisées à l’insu de la direction de la banque, semble-t-il, ces fraudes internes ont déjà fait l’objet de sanctions au sein de la banque. Une trentaine d’employés de BNP Paribas à Genève auraient d’ailleurs été sanctionnés ces derniers mois, dont certains licenciés. La banque travaille en outre à un programme drastique de renforcement des contrôles sur les activités de financement international.

Qui mène l’enquête côté américain ?

Ce sont les services du ministère de la Justice (DoJ), dirigé par Eric Holder, qui instruisent le dossier depuis 2007. Sur la base des investigations menées jusqu’à fin 2013, ils estiment que les opérations concernées relèvent du pénal. Comme souvent aux Etats-Unis, la banque peut cependant éviter un procès public, à condition de s’entendre avec les autorités. Pour ce faire, le DoJ estime que BNP Paribas doit accepter de plaider coupable et de payer une amende substantielle. Ce sont les termes de cet accord, sans précédent par leur sévérité et l’ampleur des fautes commises, qui sont actuellement en discussion entre les deux parties. La partie est d’autant plus difficile pour la banque qu’une autre autorité administrative a son mot à dire. Il s’agit du Department of Financial Services de New York. Dirigé par Benjamin Lawsky, un ex-procureur, c’est elle qui menace d’empêcher temporairement la banque de boucler des opérations en dollars, une menace inédite.

Pourquoi une telle sévérité ?

BNP Paribas n’est pas la première banque à être soupçonnée de viol d’un embargo américain. Mais c’est « la répétition des infractions sur une période longue qui a irrité les autorités », croit savoir un responsable de banque américaine. « Les pratiques de BNP Paribas ressemblent à un bras d’honneur fait à la réglementation américaine », ajoute-t-il. Force est toutefois de constater que d’autres banques ayant violé des embargos s’en sont sorties sans poursuites pénales et avec des amendes bien moins élevées : HSBC (1,9 milliard de dollars), Standard Chartered (667 millions), ING (619 millions). BNP Paribas pâtit de deux éléments : elle aurait longtemps traîné des pieds avec les autorités américaines et tenté de dissimuler des éléments du dossier ; surtout, son cas est examiné à un moment où l’opinion américaine réclame des sanctions à l’égard des banques, alors que le scandale des subprimes n’a donné lieu à aucune condamnation au pénal. Les autorités veulent faire la preuve de leur sévérité vis-à-vis de l’opinion, avec d’autant plus d’entrain que les sanctions seraient appliquées à un établissement non-américain. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a évoqué en mai un changement de doctrine, et engagé les banques européennes à la « vigilance ».

Quelles conséquences aurait une amende record ?

Les conséquences financières seraient importantes. BNP Paribas n’a mis de côté que 1,1 milliard de dollars pour couvrir le dossier. Une provision établie, semble-t-il, sur la base de la jurisprudence passée. Or il est clair désormais que l’amende finale excédera largement ce montant. Elle va donc ponctionner ses fonds propres. Selon le courtier Oddo, une amende de 10 milliards de dollars – chiffre non confirmé de part et d’autre – ferait chuter le ratio de solvabilité Core Tier 1 de la banque de 10,6 % à la fin mars à quelque 9,5 %. Un mauvais signal à quelques mois des stress tests que va organiser la BCE. BNP Paribas pourrait du coup devoir lancer une grande émission obligataire, après avoir payé son amende, pour regonfler ses matelas et conserver son profil de crédit. C’est ce qu’a fait Credit Suisse, condamné à payer 2,6 milliards de dollars pour son dossier d’évasion fiscale.

Plaider coupable, est-ce grave ?

Credit Suisse a assuré que son « plaider coupable » a eu un effet minime sur sa réputation. Elle a conservé sa licence bancaire aux Etats-Unis, son cours de Bourse a progressé depuis l’annonce de l’accord, et son directeur financier prétend qu’elle a gagné de nouveaux clients. Ce qui semble légitimer le discours des autorités américaines, selon lesquelles il est possible d’endiguer l’impact systémique des sanctions pénales appliquées aux dérives du secteur. C’est pour cette raison notamment que le risque de perte de la licence bancaire américaine semble aujourd’hui négligeable. Si ce discours est valable aux Etats-Unis, un aveu de culpabilité peut cependant avoir deux types de conséquences dans le reste du monde. Juridiques, d’abord. Dans de nombreux pays, les licences bancaires sont conditionnées à l’absence de condamnations pénales. Le « plaider coupable » ouvrirait donc automatiquement une période d’incertitude pour BNP Paribas qui devrait s’entendre avec des dizaines de régulateurs pour continuer à opérer localement. Commerciales, ensuite. Un certain nombre de clients de la banque seraient contraints, pour des raisons éthiques ou réglementaires, de cesser leur collaboration avec la banque. Un risque particulièrement fort en gestion d’actifs.

Quels sont les risques d’un accès réduit au dollar ?

L’hypothèse de cette sanction sans précédent est apparue tout récemment. C’est le Department of Financial Services de New York qui en est à l’origine. Son patron, Benjamin Lawsky, qui pousse à des sanctions « créatives » non pécuniaires, y voit sans doute le moyen de se montrer exemplaire. Dans le détail, « les autorités américaines semblent envisager une interdiction de compenser les transactions en dollars », une activité plus connue sous le nom de « clearing », indique-t-on chez BNP Paribas à New York. Plusieurs sources new-yorkaises évoquent une suspension transitoire, pendant une période de 90 jours par exemple. Quelle que soit la durée de cette suspension, les conséquences seraient potentiellement désastreuses pour l’ensemble du système bancaire mondial. Aujourd’hui, BNP Paribas est l’un des cinq premiers « clearers dollars » au monde. Lui interdire provisoirement d’effectuer des transactions en dollars aux Etats-Unis provoquerait donc un bouleversement majeur dans le système financier. Pour l’établissement, les conséquences commerciales seraient évidemment immenses, notamment dans sa relation avec ses grands clients, dont certains auraient déjà fait part à la banque de leurs préoccupations. Comme l’indique « Morningstar », « ils seraient obligés de trouver une autre entreprise pour traiter leurs paiements et certains pourraient ne jamais revenir ».

Que font les autorités françaises ?

Jusqu’à la publication jeudi dernier par le « Wall Street Journal » d’un article indiquant que BNP Paribas encourait des sanctions sans précédent, le dossier ne suscitait pas une mobilisation particulière à Paris. « La procédure engagée par les autorités américaines relève des relations entre une entreprise privée et la justice américaine. Le ministre des Finances et les autorités de supervision du secteur bancaire se tiennent régulièrement informés de l’évolution de la situation », indiquait Matignon. Mais depuis jeudi, l’exécutif a changé de braquet. Considérant que le dossier avait pris une dimension transatlantique, l’Elysée est désormais aux commandes. Le sujet devrait être abordé dans le cadre de la visite du président Obama en France à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du Débarquement.

D’autres banques sont-elles visées ?

Plusieurs autres banques européennes seraient dans le collimateur de la justice américaine. La Société Générale et le Crédit Agricole reconnaissent dans leur document de référence être en discussion avec les autorités américaines depuis 2012. Mais face à ses actionnaires, à son assemblée générale, la Banque Verte s’est voulu rassurante. « Le dossier est bon », a fait savoir Jean-Paul Chifflet. Le Crédit Agricole a provisionné 1,2 milliardpour l’ensemble des litiges identifiés à fin décembre 2013. Même ton à la Société Générale, dont la provision globale pour litiges est plus faible (700 millions d’euros au premier trimestre 2014). UniCredit et Deutsche Bank feraient également l’objet d’une revue de leurs transactions. De quoi justifier une intervention de la BCE qui suit le dossier de très près et au plus haut niveau, compte tenu des « risques systémiques » qui pourraient survenir.

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Lucie Robequain / Correspondante à New York, Karl de Meyer / Correspondant à New York, Nicolas Barré / Directeur de la rédaction, François Vidal / Directeur délégué de la rédaction et Anne Drif / Journaliste |
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Jamel Arfaoui
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