AccueilالاولىPourquoi Bouteflika reçoit-il l’islamiste tunisien Ghannouchi?

Pourquoi Bouteflika reçoit-il l’islamiste tunisien Ghannouchi?

Avant de se rendre à Ankara, jeudi dernier, où les islamistes turcs lui ont déroulé le tapis rouge, le leader du mouvement tunisien Ennahda, Rached Ghannouchi, avait été reçu à Alger par le président Bouteflika lui même. Pourquoi l’Algérie qui n’ a aucune sympathie particulière pour les ambitions des Frères Musulmans en général et pour leurs alliés tunisiens en particulier a-t-elle accepté d’offrir à Ghannouchi une telle caution diplomatique? La rencontre d’Alger s’explique en fait par la volonté du pouvoir algérien de trouver à tout prix, y compris en dialoguant avec le diable, les moyens de neutraliser les groupes jihadistes qui campent à la frontière tuniso-libyenne.

Qu’Ankara accueille en grandes pompes le charismatique chef du mouvement Ennahda le jeudi 28 août, quoi de plus normal ! A moins de deux mois avant les législatives tunisiennes où son parti est donné gagnant, Rached Ghannouchi a tout intérêt à soigner son image sur le plan international. L’occasion lui en a été donnée par la tenue du congrès exceptionnel du parti pour la Justice et le Développement (AKP) et la célébration de la victoire du président turc nouvellement élu, Recep Tayyip Erdogan. Entre ce dernier et Ghannouchi, la complicité est ancienne, profonde. Les deux hommes partagent le même projet de société, ce mélange populiste et autoritaire d’islamisme et de démocratie. Sur fond d’appropriation du pouvoir par une nouvelles classe de dirigeants politiques.

Rached Ghannouchi s’est donc entretenu avec le président turc et l’a félicité pour son élection à la tête de la Turquie dès le premier tour. Puis il s’est rendu au siège du parti pour la Justice et le Développement pour discuter avec M. Ahmet Davutoglu, récemment  élu comme nouveau président du parti et Premier ministre du gouvernement turc.

Ghanouchi le pestiféré

La surprise est venu quelques jours auparavant, le dimanche 24 aout, lorsque Ghannouchi a été reçu par le président algérien comme un chef d’Etat. Le tapis rouge a été dressé devant son jet privé et il a été accompagné à la salle d’honneur de l’aéroport par le président de l’Assemblée populaire nationale algérienne, Mohamed Larbi Ould Khelifa. Son cortège était escorté, durant toute la visite, par les motards de la présidence algérienne. Ce protocole est particulièrment surprenant s’agissant d’un simple chef de parti. Ghannouchi n’a en effet aujourd’hui aucune position officielle. Surtout, personne ne pouvait s’attendre à ce que le pouvoir algérien fasse une telle fleur à un islamiste dont la complaisance pour le courant sallafiste, fut-il violent, a toujours été dénoncée à Alger.

Rappelons nous comment en juin 1991, les anciens maîtres de l’Algérie l’avaient froidement expulsé après l’arrestation et l’emprisonnement des principaux dirigeants du Front Islamique de Salut (FIS), ses amis à Alger. Fort dépourvu à l’époque, le leader d’Ennahda avait tenté de demander asile à la France, mais sans succès. D’où son départ pour Londres. Pourquoi aujourd’hui la présidence algérienne fait-elle assaut d’amabilité face à ce pestiféré d’hier ?

Pragmatisme toute !

Notons que cette rencontre Bouteflika-Ghannouchi n’est pas une première. Deux fois dans le passé, les deux hommes s’étaient entretenus. Le 21 novembre 2011, alors que ses anciens amis du FIS sont toujours interdits de toute activité politique, Rached Ghannouchi est reçu longuement par le président algérien Abdelaziz Bouteflika au terme d’une visite qui avait duré cinq jours. Ghannouchi est suffisamment opportuniste ou habile -c’est selon- pour fermer les yeux sur le triste sort réservé à  ses anciens amis. Certains émissaires du FIS lui avaient demandé, quelques jours avant son départ pour Alger, de toucher un mot au président Bouteflika pour que soient levées les sanctions arbitraires frappant Ali Benhadj. L’homme fort de Tunis n’avait nullement accédé aux doléances de ses anciens alliés algériens. Le leader tunisien n’est pas un sentimental, mais bien un pragmatique.

De part et d’autre, on se bouche le nez, mais on se parle. Durant ce séjour, Ghannouchi dont le mouvement vient de l’emporter lors des élections de l’assemblée constituante avait rencontré Abdelkader Bensalah, le président du conseil de la nation, le nom du Sénat en Algérie, Ahmed Ouyahia, alors premier ministre (aujourd’hui directeur de cainet à la Présidence et possible candidat à la succession), Abdelaziz Belkhadem, patron du FLN, et Abou Jarra Soltani qui étaient à l’époque respectivement secrétaire général du FLN et président du MSP (un parti islamiste membre de la coalition présidentielle).

Une deuxième rencontre avait eu lieu au printemps dernier en présence de l’ancien Premier ministre Beji, ce vieux bourguibiste qui est aujourd’hui le principal opposant d’Ennahda. L’idée était alors pour les Algériens de favoriser le dialogue entre les frères ennemis tunisiens, afin d’éviter tout dérapage violent. L’heure était, comme souvent à Alger, au pragmatisme. Pour autant, une certaine duplicité était à l’oeuvre ches les “décideurs” militaires. Les services de sécurité n’ont guère voulu coopérer, ces derniers mois, avec le ministère de l’Intérieur tunisien, une boite noire dont ils se méfient. On sait en effet qu’un certain nombre des sécuritaires sont restés fidèles à Tunis aux forces islamistes.

Libye, attention danger

En fait, l’armée et les services algériens sont inquiets avant tout de la situaion à la frontière libyenne. Les armes y circulent librement, des groupes jihadistes interviennent à partir du Sud libyen vers l’Algérie et la Tunisie. Comme toujours, les Algériens alternent la carotte et le baton. Le baton aujourd’hui, c’est la tentation d’intervenir en Libye avec l’aide du général égyptien Sissi. Mais ils savent que les groupes jihadistes s’appuient sur les milices du puissant Abdelakim Belahdj, cet ancien jihadiste devenu l’allié du Qatar et l’interlocuteur des Américians et des Français. Une offensive armée n’est pas sûre du succés.

La carotte, c’est de tenter de lancer des passerelles vers cette mouvance islamsite hétéroclite. Les militaires algériens l’ont fait récemment à travers les patrons de la principale télévision privée tunisienne, “Nesma TV”, qui ont joué les intermédiaires avec Belhadj et ses lieutenants. “Le voyage de Ghannouchi s’inscrit dans cette perspective, confie-t-on à Alger, il faut à tout prix nouer des alliances pour mettre fin au chaos et à la constitution de groupes jihadistes à la frontière algéro-libyenne”.

Entre le risque d’attaques jihadistes à répétition venues de Tripoli et le retour au pouvoir des islamistes en Tunisie, le pouvoir algérien a choisi le danger principal. Et ce dernier vient de Libye plus que de Tunisie. L’enjeu régional vaut bien un coup de pouce à Ghannouchi!

MOHNA MAHJOUB

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