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Il est Tunisien : Le dernier chasseur du « trésor » de Kadhafi

En Afrique du Sud, il a longtemps répondu au surnom d’Erik « Niemand ». « Niemand » qui signifie « personne » en Afrikaner. Un alias dont s’est accommodé cet homme d’affaires tuniso-suédois à l’allure sage et discrète. Erik Iskander Goaied, de son vrai nom, y a même pris plaisir. « C’était nécessaire pour mener à bien ma mission et pour ma sécurité », confie-t-il dans un hôtel de bord de mer à Tunis où il est de passage. Depuis prés de deux ans, « Monsieur Personne » se consacre à la traque des « avoirs cachés » de Mouammar Kadhafi en Afrique du Sud. On devine à son rictus qu’il s’est, pour cette mission, plongé dans un univers sombre, peuplé de marchands d’armes, de politiques, d’espions, de mercenaires et surtout de nombre d’escrocs.

Un brin parano et maniaque, il insiste pour montrer ses accréditations du gouvernement libyen, celles du temps du premier ministre Ali Zeidan, limogé le 11 mars 2014, et celles de son successeur Abdallah al-Thani, à la tête d’un gouvernement « en exil » à l’est de la Libye depuis la victoire militaire islamiste à Tripoli l’été dernier.

« C’est la plus grande chasse au trésor de l’Histoire », lâche froidement « Monsieur Personne ». Installé aujourd’hui à Washington, Goaied se dit sur le point de transmettre aux autorités américaines des preuves impliquant les plus hautes sphères du pouvoir sud-africain, du palais présidentiel à certains caciques du Congrès national africain (ANC), le parti historique de Nelson Mandela à la tête du pays depuis plus de vingt ans. Il est persuadé d’avoir mis la main sur le « trésor », et exhumé les mystérieux « fonds cachés » personnels de Mouammar Kadhafi.

« Frère Kadhafi »

Les liens étroits entre les pouvoirs sud-africain et libyen remontent au milieu des années 1990. Nelson Mandela ne cachait pas son amitié pour le « frère Kadhafi », qui avait soutenu financièrement et militairement la lutte contre l’apartheid. Parmi ses héritiers de l’ANC, plusieurs affairistes ont par la suite exploité cette relation étroite entre les deux pays pour inciter l’autoproclamé « roi des rois d’Afrique » à y investir et à stocker un pan de sa fortune colossale. Transformant ainsi l’Afrique du Sud en une gigantesque lessiveuse d’argent sale pour Kadhafi, qui se faisait payer une partie du pétrole en liquide. C’est en tout cas ce que prétend cet étrange Erik Goaied en commandant un autre café au bar de cet hôtel, à Tunis. Des milliards de pétrodollars en liquide, or et diamants notamment auraient ainsi été transférés par avion-cargos puis stockés à Johannesburg et Pretoria entre 2000 et 2011. « Les Sud-Africains doivent et vont rendre ce trésor à la Libye, dit-il. Il y en a pour 400 milliards de dollars ».

Un montant astronomique qui fait sourire l’entourage de Bachir Saleh, l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi visé par une notice rouge d’Interpol. Après un bref passage en France, Pretoria lui a offert un asile confortable. Pendant des décennies jusque 2011, Bachir Saleh était au cœur des relations entre la Libye et Afrique du Sud. Il était aussi le gestionnaire en chef des fonds souverains, Libyan Investment Authority et Libyan African Portfolio, dont les investissements sont traçables malgré les centaines de filiales et de comptes bancaires. Jacob Zuma, l’actuel président sud-africain et ancien patron des services de renseignement de l’ANC, lui est resté fidèle et reconnaissant.

« Les responsables de l’ancien régime (libyen) bloqueront ce processus tant qu’ils n’auront pas l’assurance que ces sommes ne finiront pas entre les mains des islamistes »

« Tout cela ne rime à rien et relève du délire. Il y aurait tout au plus 1,5 milliard de dollars libyens sous forme d’investissements en Afrique du Sud », balaie un proche de Bachir Saleh. C’est aussi l’estimation du cabinet de l’ex-ministre sud-africain des Finances, Pravin Ghordan, qui table sur un milliard de dollars. Ou celle des enquêteurs de la société Command Global Service (CGS), formée entre autres d’anciens agents des renseignements américains. « Il y a beaucoup de fonds en Afrique du Sud et ailleurs qu’on ne pourra plus pister et qui sont perdus », constate à la terrasse d’un grand hôtel parisien l’enquêteur de CGS, Haig Melkessetian, qui s’est découragé depuis. Et d’ajouter : « A ce jour, la Libye n’a rien récupéré d’Afrique du Sud. Les responsables de l’ancien régime (libyen) bloqueront ce processus tant qu’ils n’auront pas l’assurance que ces sommes ne finiront pas entre les mains des islamistes ». Beaucoup contestent donc les chiffres avancés par Erik Goaied : « Ces histoires de milliards de dollars en cash, c’est du bidon ! C’est un escroc de plus », s’emporte un diplomate sud-africain.

Un simple VRP mué en limier

Qui est-il, ce « Monsieur Personne », pour oser contredireaccuser et défier certains des plus hauts dirigeants d’Afrique du Sud ? Un commerçant atypique de 48 ans ayant acquis une bonne connaissance des rouages de l’administration, tant en Libye qu’en Afrique du Sud. Après avoir été consultant pour Elf Aquitaine (TogoNigeria, etc.) dans les années 1990, il s’est immiscé dans les relations commerciales entre Pretoria et Tripoli avec un produit miracle, le « burnshield », du nom de cette compresse qui permet de soulager des brûlures. Non sans une certaine audace, il devient en 1996 le vendeur exclusif au Maghreb de ce produit fabriqué en Afrique du Sud. La Libye est alors sous embargo international, considérée comme « pays terroriste ». Après bien des péripéties, il finira par être brièvement arrêté à Tunis lorsqu’un beau-frère de Kadhafi, Ali Farkash, lui impose sa commission.

Ruiné, il se rapproche en 2008 d’un autre grand brûlé de l’univers kadhafiste, un certain Mohamed Tag, personnage influent de la tribu wershefana, ancien aide de camp du Guide ayant pris à la fin des années 1980 ses distances. Ce haut gradé de l’armée libyenne permet à Erik Goaied de récupérer quelques dizaines de milliers de ses dinars et de reprendre pied dans les affaires à Tripoli. Cette fois, ce ne sont plus des compresses mais des armes et de l’équipement militaire qu’il vend, comme représentant de la société d’Etat sud-africaine Denel. « Quand la révolution a éclaté en 2011, des émissaires des deux camps m’ont sollicité à Tunis pour des armes et des conseils, dit-il. Je refuse, pour les armes, car c’était illégal. Mais j’ai donné des conseils aux révolutionnaires et j’ai aidé pour le transfert de blessés en Tunisie ».

En 2013, Erik Goaied reprend du service pour la Libye en Afrique du Sud, avec son acolyte Mohamed Tag. Il est sollicité par une armée libyenne en déréliction, comme marchand d’armes. Une commande d’un montant de cinq millions de dollars lui permet d’obtenir un rendez-vous avec Nosiviwe Mapisa-Nqakula. La ministre de la défense est méfiante à l’égard de ces intermédiaires mandatés par une Libye qui s’enfonce dans le chaos. Elle a raison. Car Goaied et Tag entendent bien profiter de l’occasion pour s’immiscer dans le sensible dossier des avoirs de Kadhafi. D’ailleurs, pour régler la commande, ils proposent de payer avec ces dollars libyens prétendument dissimulés en Afrique du Sud. Sauf qu’il n’y aura ni contrat, ni restitution de fonds. Peut-être parce qu’au même moment, d’autres équipes se réclament du gouvernement libyen pour récupérer ces fonds dont une, Sam Serj, s’apprête, début 2014, à signer un solde de tout compte à 12,5 milliards de dollars.

Erik Goaied intervient dans le dossier, convaincu que si les Sud-Africains s’empressent d’effacer l’ardoise de 12,5 milliards de dollars, c’est qu’il y a en réalité beaucoup plus d’argent en jeu. Avec son acolyte, Mohamed Tag, ils exhibent un mandat du gouvernement libyen et font dérailler les négociations entre leurs concurrents et Pretoria.

Pour accélérer ses investigations, Goaied va un temps s’associer avec un sulfureux marchand d’armes, le Sud-africain Johan Erasmus. Ce dernier, joint par téléphone, explique dans un français teinté d’afrikaner : « C’est l’ancien président Thabo Mbeki qui a le plus profité de ces fonds. J’ai la certitude et des preuves que des milliards de dollars de Kadhafi sont toujours stockés ici en liquide ou dans les banques ».

Parmi les documents récupérés par Erik Goaied, vraisemblablement auprès de fonctionnaires sud-africains, certains donnent le vertige. L’un d’eux, un courriel titré « Le dossier libyen, comme discuté », est adressé par la chef du parquet sud-africain, Nomgcobo Jiba, à la directrice du Trésor, Rebecca Tee, le 15 mai 2013 à 9 h 48. Jiba y évalue la totalité des avoirs de l’Etat libyen en Afrique du Sud à 179 milliards de dollars « sans prendre en compte les montants connus » par les autres administrations. Et de nuancer : « Ce montant n’est pas sous le contrôle du gouvernement, mais il est le fruit d’un accord entre les autorités libyennes et certaines parties sud-africaines ». Si ce courriel s’avérait authentique, il donnerait du poids aux estimations de « Monsieur Personne ».

De Pretoria à Washington

Par l’intermédiaire de Mohammed Tag, devenu à l’âge de 62 ans patron du nouveau Comité de restitution des avoirs créé le 22 janvier 2014 par le gouvernement libyen, Erik Goaied informe Tripoli, à commencer par Abdallah al-Thani, qui deviendra premier ministre deux mois plus tard. Mais en Afrique du Sud, les menaces s’accentuent en cette année 2014. « Monsieur Personne », sorti de nulle part, serait devenu dangereux. « Quand il y a de telles sommes en jeu, même les plus honnêtes hommes peuvent révéler leur côté sombre », lui aurait lâché un « vieux sage » de l’ANC. Des émissaires du tout puissant parti et du président prennent attache avec Erik Goaied. Ce dernier assure avoir décliné une série d’offres de solde de tout compte à 32 puis 64 et enfin 150 milliards de dollars en juin. Sa seule réponse : « Faites donc une offre raisonnable aux Libyens et acceptez de faire une croix sur une partie de ces fonds ». En vain. Aujourd’hui, Mohamed Tag répond à l’autorité du parlement de Tobrouk et du fragile gouvernement d’Abdallah al-Thani, dans une Libye profondément divisée. Les avoirs sud-africains ? Le comité qu’il dirige en a fait sa priorité, voire son obsession. « Nous tablons sur une restitution d’au moins 400 milliards de dollars, une somme vitale pour la reconstruction de la Libye, et qui bénéficiera à toute la région, en particulier à nos partenaires africains », insiste l’un des trois membres de ce comité rencontré à Tunis.

Avant de quitter l’Afrique du sud l’été dernier, Erik Goaied est convié le 27 juin dans une villa huppée de Waterkloof, à Pretoria. Là, il est reçu par un conseiller de l’ancien président Thabo Mbeki qui l’écoute attentivement. Avant de décrocher son téléphone. « M. Le président, il faut rendre l’argent, ils savent tout ». Au bout du fil : le président Jacob Zuma. Erik Goaied rapporte sa réponse à laquelle il repense souvent : « Dites à Thabo Mbeki et à ses proches de rendre l’argent d’abord et ensuite nous discuterons ». Fin de la conversation. Le conseiller au visage fermé se tourne vers Erik Goaied : « Cherchez une autre solution, vous n’aurez rien ici ».

Dont acte. Pour « Monsieur Personne », la solution est à Washington. Seuls les Américains peuvent faire pression sur Pretoria, pense-t-il. Affabulateur ou escroc pour les uns, fin limier révélé sur le tard pour d’autres, il dit avoir mis en sécurité ses dossiers, épais comme des tomes d’un magistrat en fin d’enquêteLe dossier est traité au niveau des deux États mais je crois savoir qu’Erik Goaied et son équipe sont en mesure de prouver ce qu’ils avancent et être en possession de documents », confie par téléphone l’ancien chef de la sécurité et du renseignement de l’ANC, Tito Maleka.

Dans la capitale fédérale américaine, Erik Goaied entend bien écrire le dernier chapitre de son aventure. Pour renforcer sa crédibilité, il s’est attaché les services de Ben Barnes, lobbyiste influent, proche du chef de la diplomatie John Kerry. « Monsieur Personne » se retrouve alors dans les dîners des intrigants de K Street, à Washington. En marge de l’Assemblée générale de l’ONU, dans une suite du Grand Hyatt à New York, vendredi 26 septembre 2014, lui et Mohammed Tag ont présenté le fruit de leurs enquêtes au président libyen Aguila Salah Issa. Ereintés par ces années d’investigations, ils ont suivi son discours le lendemain à la tribune des Nations Unies. Dans lequel, dans une phrase improvisée, Issa a réclamé « l’assistance de tous les pays pour la restitution des fonds libyens volés à l’étranger ». Un message à l’adresse de l’administration américaine, celle-là même que Goaied doit désormais convaincre pour mettre un terme à ce qu’il appelle un « film d’espionnage ».

source – journal le monde 28-01-2015

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