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"Empire", une immersion photographique en Tunisie dans le camp des réfugiés oubliés de Choucha

Samuel Gratacap expose à Paris quatre années de photographie à Choucha, camp de réfugiés dans le sud de la Tunisie, à la frontière libyenne. Cet “Empire” désertique et invivable a sombré peu à peu dans l’oubli, comme ses derniers habitants.

C’est l’histoire d’une disparition, celle d’un “Empire” nommé Choucha. Ce camp de réfugiés installé dans le sud de la Tunisie, à la frontière libyenne, s’est “créé à partir de rien, a étendu ses frontières et, peu à peu, il a périclité”, explique Samuel Gratacap. Ce jeune photographe a capturé le lieu et ses habitants de 2012 à 2015, pour en fixer la progressive dissolution au gré des vents et de l’indifférence collective.
Il expose le fruit de ce travail au long cours au Bal, à Paris, jusqu’au 4 octobre, présentant polaroïds originaux, tirages argentiques et vidéos. Dans cette mosaïque d’images, accrochées sans cadre – Samuel Gratacap n’aime pas les cadres qui “isolent et circonscrivent” – et savamment scénographiée pour laisser toute leur place au hors-champ et au vide, on découvre ce bout de désert tunisien. Ce vaste néant écrasé de lumière, balayé par le Sirocco et peuplé d’êtres devenus quasi-fantomatiques.
Implanté en 2011 à cinq kilomètres de Ras Jedir, poste-frontière avec la Libye, par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), le camp de Choucha devait faire face aux centaines de milliers de personnes qui fuyaient la guerre dans l’ancienne Jamahiriya de Kadhafi. Pendant deux ans, quelque 300 000 migrants de 22 nationalités différentes ont transité par ce camp tunisien, qui a accueilli jusqu’à 18 000 personnes au plus fort de la guerre en Libye.

Un photographe en immersion
Samuel y met les pieds pour la première fois en janvier 2012, pour un reportage de deux jours. Juste le temps d’avoir envie d’en savoir plus. À 33 ans, le photographe formé aux Beaux Arts de Marseille a déjà mené plusieurs projets sur les migrants et les zones de transit. Il décide donc de revenir quelques mois plus tard à Choucha pour y poser ses valises, presque une année. Il s’installe entre le camp et Ben Guerdane, la ville tunisienne la plus proche. “Mais je n’étais pas un habitant du camp”, précise-t-il à France 24, “j’avais fait le choix d’être là, pas eux”.
Commence une lente approche pour tenter d’appréhender les lieux, comprendre les codes, le fonctionnement des ONG ou le processus administratif des demandes d’asile. “Les deux premiers mois je ne faisais pas de photos, ou seulement la nuit”, raconte Samuel. Il commence donc par cartographier ce camp “qui n’existe sur aucune carte et qui ne le sera certainement jamais”. Puis, avec l’ONG Danish Refugee Council, il donne des cours de photos aux enfants, cherchant à donner une justification “humanitaire” à sa présence à Choucha.
“Une de mes premières photographies est celle d’un homme tchadien qui tient à bout de bras un morceau de feuille A4 : la confirmation du rejet définitif de sa demande de statut de réfugié – REJECTED. C’est une image, il me l’offre. La vie, l’avenir de cet homme tiennent sur ce bout de papier tendu comme un manifeste”, écrit Samuel Gratacap dans le livre qui accompagne l’exposition. Il commence alors à témoigner du quotidien : les jeux, les pauses cigarette, la personnalisation des tentes, les départs, les adieux. Toujours avec la pudeur de la juste distance : “Je ne suis pas un photographe de l’intime”, confie-t-il.
“Pour le HCR, Choucha n’existe plus”
Samuel Gratacap reste à Choucha jusqu’en juillet 2013, un mois après la fermeture officiel du camp par le HCR. Quelque 3 600 personnes avaient obtenu une réinstallation aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Allemagne ou encore en Norvège. Mais des centaines de candidats à l’exil avaient vu leurs demandes retoquées. Aussi, lorsque le HCR coupe le dernier générateur qui distribue encore de l’eau dans le camp – il n’y avait déjà plus d’électricité depuis trois mois – près de 300 personnes, des Subsahariens en grande majorité, restent là.
 
Oubliés des ONG, des médias et des autorités tunisiennes, ces “déboutés” de Choucha n’ont pas de statut officiel, mais leur présence est tolérée dans la région. Leurs conditions de vie se détériorent un peu plus chaque jour. Samuel Gratacap retourne à Choucha en janvier 2014 et découvre le camp comme [il] ne l’avait jamais vu : “Pour le HCR, Choucha n’existait plus. Il n’y avait plus d’aide alimentaire, plus de soin, plus rien. Les femmes et les enfants mendient. Les hommes tentent en vain de trouver du travail à Ben Guerdane. Les réfugiés de Choucha – hommes, femmes, enfants – vivaient la double peine, celle d’avoir subi un conflit et celle d’être laissés là”, explique-t-il.
Fixer les vents

Quand il y retourne à nouveau en décembre 2014, les familles sont parties. À la force du désespoir, elles ont regagné la Libye pour embarquer sur des radeaux de fortune en direction de l’Italie et de l’Europe. À Choucha, il ne reste que 80 hommes environ, vivant de mendicité et des petits trafics qui fleurissent dans cette zone de contrebande. Certains trafiquants, qui vont ou viennent de Libye, y font escale pour une nuit. Mais du passage de milliers de migrants, il ne reste pas grand-chose. Des bouteilles en plastique enfoncées dans le sol, des vestiges de tentes emportées par les vents, quelques seaux ici et là, un banc abandonné, des déchets éparses que Samuel Gratacap saisit et expose au Bal en grand format.
“J’ai essayé de fixer les vents et de saisir l’hostilité de ce lieu invivable, mais habité”, poursuit Gratacap. Son exposition est ponctuée des témoignages de ces hommes oubliés, comme celui de S.D : “Je suis monsieur personne vivant en galère dans le désert (…) Choucha, c’est comme la jungle parce que personne n’est né pour y vivre”. S’il donne la parole aux réfugiés, le photographe suggère la présence des hommes, plus qu’il ne la montre.
Gratacap n’expose pas ici de portraits, mais des détails ; des mains, des dos, des visages voilés ou des silhouettes fondues dans des paysages surexposés, “cramés” comme on dit en photographie quand la lumière est si intense qu’elle brûle l’image. Et les êtres. Sur un mur du Bal, on peut lire cette phrase d’Amadou: “Quatre années passées à Choucha et tu deviens un vieillard”. Samuel Gratacap, témoin discret mais non moins talentueux, a su mettre en image cet “Empire” et ses hommes, avant leur disparition.
SOURCE / france24.com/fr/

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