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Afrique : Le nouveau monde des marchés émergents

Il y a du nouveau en Afrique. Naguère, investir sur ce continent passait pour de l’idéalisme. Aujourd’hui, les investisseurs tournent leurs regards – et leurs fonds – vers ce qui apparaît comme un nouveau monde pour l’investissement. Cette euphorie durera-t-elle ?
Jusqu’à récemment, la simple idée de voir le capital-investissement et les fonds spéculatifs arriver en masse pour miser sur le continent africain paraissait presque incongrue. C’est aujourd’hui une réalité.
De fait, l’Afrique est en passe de devenir la nouvelle terre promise pour les investisseurs s’intéressant aux marchés émergents. Cette tendance, qui passait pratiquement inaperçue jusqu’à présent, est assez impressionnante. L’enthousiasme ne se limite plus à l’Afrique du Sud, par exemple. De Londres, de New York, de Johannesburg et de Lagos, les flux d’investissements affluent en direction de pays comme le Kenya, le Ghana et le Botswana. En février dernier, la banque d’investissement russe Renaissance Capital a annoncé le lancement d’un fonds d’investissement panafricain d’un milliard de dollars. Le 18 avril, la société annonçait qu’elle s’apprêtait à créer « une unité à part entière de banque d’investissement, de recherche et de gestion d’actifs panafricaine », comportant des antennes à Lagos et à Nairobi. Le Sud-africain Pamodzi Investment Holdings a annoncé lui aussi un fonds panafricain de 1,3 milliards de dollars, soutenu cette fois par des établissements financiers américains. Le fonds londonien Blakeney Management, qui a des engagements en Afrique depuis une bonne dizaine d’années, investit maintenant en Angola, au Mozambique et en Ethiopie, misant sur les pays qui ont réussi à se sortir de plusieurs années de violent conflit. Au total, depuis le début de l’année 2007, près de 3 milliards de dollars de capitalinvestissement ont été levés à destination de l’Afrique.
Les investisseurs sur les marchés de valeurs émergents sont aussi tentés par l’Afrique, qui totalise près de 10 % des fonds investis sur les marchés émergents dans le monde. L’apparition de fonds investis en valeurs panafricaines, comme ceux des sociétés d’investissement Investec ou Stanlib, une filiale de la Standard Bank of South Africa, constitue une autre tendance révélatrice. Imara, un groupe financier sud-africain, propose maintenant trois fonds africains, dont l’un est exclusivement consacré au Nigeria et un autre au Zimbabwe. Le plus gros fonds panafricain créé jusqu’à présent, soit 750 millions de dollars, et lancé en 2006, Ethos Private Equity, est également sud-africain.

Bien sûr, il n’y a pas que de nouveaux acteurs en Afrique. L’un des investisseurs privés les mieux implantés est le prince saoudien Al-Walid Ibn Talal Al Saoud, qui possède des participations dans le secteur bancaire ghanéen et dans les télécommunications sénégalaises, et qui a contribué en juillet 2005 à créer un nouveau fonds de 400 millions de dollars, HSBC Kingdom Africa Investments, en association avec la banque HSBC.
Mais on assiste à un phénomène nouveau : même les fonds spéculatifs entrent dans la danse. Tudor Investments a pris une participation dans Africa Opportunities Partners, un véhicule d’investissement placé dans la brasserie tanzanienne, les télécommunications sénégalaises et l’assurance égyptienne. Le financier suisse Nicolas Clavel a lancé le premier fonds spéculatif européen entièrement dédié à l’Afrique le 1er juillet 2007 : le Scipion African Opportunities Fund, qui ambitionne de lever 700 millions de dollars.
Que se passe-t-il au juste ? L’Afrique a-t-elle changé, ou est-ce simplement l’abondance de liquidités qui pousse les acteurs à tout essayer ? Les facteurs externes jouent certainement un rôle. Les conditions internationales et la faiblesse des rendements dans les pays de l’OCDE, l’abondance des liquidités et la quête de rentabilités élevées poussent les investisseurs à tenter des investissements toujours plus risqués. Parallèlement, les opportunités d’investissement dans les pays africains se sont multipliées : on compte au moins 522 entreprises cotées dans les Bourses des pays sub-sahariens, contre à peine 66 en 2000. L’information financière et l’infrastructure en communications progressent aussi très vite, de sorte que les analystes de Renaissance Capital sont maintenant en mesure de travailler sur une douzaine de marchés de capitaux sub-sahariens. Ceci n’aurait pas même été imaginable il y a cinq ans.
L’Afrique aussi a changé. De fait, c’est la principale cause de tout cet enthousiasme. Comme le soulignent depuis plusieurs années les Perspectives économiques en Afrique, publication conjointe du Centre de développement de l’OCDE et de la Banque africaine de développement, la croissance est de retour en Afrique, et pas seulement grâce aux richesses pétrolières ou minières. C’est plutôt la soif d’exportations compétitives de l’Asie qui gagne le continent africain. Parallèlement, les gouvernements modifient leurs politiques et encouragent les investissements privés dans les projets viables et rentables ayant un impact durable sur le développement. Comme le soulignent les Perspectives, cette tendance devrait se poursuive si les dirigeants africains veulent mettre leurs économies sur la voie d’une croissance rapide. Et cela signifie que de nouvelles opportunités d’investissement devraient apparaître.
Les investisseurs sont notamment attirés par la main-d’oeuvre de plus en plus qualifiée et avisée, avec l’émergence d’une nouvelle génération de financiers africains d’envergure internationale aux commandes de la plupart des fonds centrés sur l’Afrique. On peut citer par exemple le Ghanéen Kofi Bucknor, qui dirige le fonds Kingdom Zephyr African Management Company, basé à Accra. Ou encore Vincent Le Guennou qui, après avoir étudié à HEC et Harvard, a pris les rênes de la plus grosse société de capital-investissement du continent africain, Emerging Capital Partners, qui est basée à Tunis et totalise 1 milliard de dollars.
La réaction des principaux centres financiers mondiaux est loin d’être euphorique. Les fonds sont là, mais jusqu’à présent l’expertise émanant de ces centres financiers a été prudente. Mais en Afrique et hors de l’OCDE, l’attitude face aux nouvelles opportunités a été plus audacieuse. Il est grand temps que les traditionnelles places financières renouvellent leur regard sur l’Afrique, éventuellement dans une démarche d’innovation et de partenariats avec d’autres acteurs. De grandes banques d’investissement comme UBS collectent déjà des données et des analyses sur l’Afrique, d’autres projettent d’étoffer leurs équipes. C’est une bonne nouvelle pour l’Afrique car cela signifie que le continent ne sera plus ignoré par les analystes des marchés d’actions et d’obligations.
Outre certains fonds privés d’établissements basés dans l’OCDE, d’autres acteurs comme la Chine, l’Inde et le Brésil sont présents sur le continent. La Chine et l’Inde sont implantées depuis longtemps, mais pas à cette échelle. Des groupes tels que l’Indien Tata et des sociétés pétrolières chinoises sont devenus des concurrents redoutables pour les entreprises de l’OCDE. Et ce phénomène ne se limite pas aux pays du groupe « BRIC » : en octobre 2007, Dubai Ports World (DP World), une société gestionnaire d’installations portuaires maritimes, remportait la concession du premier terminal à conteneurs du Sénégal pour une durée de 25 ans, devançant ainsi le Français Bolloré.
L’Afrique a changé par nécessité. Elle ne deviendra pas du jour au lendemain un marché émergent « star » comme l’Asie ou l’Amérique latine, mais on peut s’attendre à ce qu’elle devienne un pôle d’attraction majeur. Les dirigeants africains ont maintenant conscience que l’aide internationale n’est plus le seul recours. Comme le notait récemment l’un d’entre eux, ce qu’il faut à l’Afrique, c’est moins de bons sentiments et plus de bons investissements. Les investissements privés ne vont peut-être pas affluer en masse vers le continent, mais il faut se réjouir de les voir entrer à un rythme soutenu. Aux dirigeants politiques, maintenant, de s’assurer que l’intérêt croissant porté à l’Afrique ne s’évapore pas comme une euphorie passagère.

Javier Santiso
Chef économiste du développement et Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE.

Jamel Arfaoui
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