AccueilاقتصادBAD, révolution tunisienne, Maroc...: les confidences de Jaloul Ayed

BAD, révolution tunisienne, Maroc…: les confidences de Jaloul Ayed

EXCLUSIF. Candidat à la présidence de la BAD, ministre tunisien des Finances après la révolution, ancien dirigeant dans le groupe BMCE, Jaloul Ayed a beaucoup de choses à dire. Dans cet entretien, il se confie à Médias 24. Tout y passe: la BAD, le Maroc, les révolutions arabes…

Jaloul Ayed est un nom bien connu des milieux d’affaires marocains. Malgré son départ pour la Tunisie où il a été happé par la Révolution, il n’oublie pas le Maroc et y revient régulièrement.

Ce Tunisien est un homme aux multiples facettes. Il a vécu plusieurs vies et continue à le faire. Il avait fait carrière dans une banque américaine (Citibank) avant d’être recruté par Othman Benjelloun et devenir l’un des dirigeants en vue du groupe BMCE.

Ce compositeur de symphonies est devenu quelques jours après la révolution tunisienne, ministre des Finances. Les élections d’octobre 2011 ont mis fin à son mandat mais plusieurs partis politiques ont proposé son nom en tant que premier ministre de consensus en 2013. Ses capacités en matière de finances publiques et de banque font l’unanimité.

Aujourd’hui, il dirige un groupe de nouvelles technologies qu’il a créé en Tunisie, et compte ouvrir une filiale au Maroc. Il est candidat de la Tunisie pour la présidence de la BAD. Il garde pour le Maroc une fibre et une affection particulières.

De passage à Casablanca il y a quelques jours, il se confie à Médias24.

 

-Comment vous avez quitté la BMCE en janvier 2011?

-J’étais à Londres au moment de la révolution tunisienne.  Je devais initier une restructuration de la filiale que nous avions lancée quelques mois auparavant. Cette filiale londonienne de la BMCE était la première banque d’investissement totalement dédiée à l’Afrique. Medi Capital Bank, c’était son nom à l’époque, est une composante essentielle de la stratégie africaine de la BMCE. Elle est devenue entretemps BMCE International.

Cette filiale commençait à obtenir des résultats très probants, mais elle avait été rattrapée par la crise qui avait commencé en 2008. Je devais donc la restructurer.

La seconde mission fusion consistait à réaliser la convergence entre Medi Capital Bank, les filiales de la BMCE en Europe et Bank of Africa.

C’était donc une mission ponctuelle qui devait aboutir à la création d’un groupe bancaire africain, avec une forte présence à l’international.

Deux ou trois jours après la révolution, je suis donc à Londres et je reçois un appel du premier ministre tunisien de l’époque, Mohamed Ghannouchi qui me demande de devenir ministre des Finances. Il fallait se rendre à Tunis le lendemain.

J’ai immédiatement appelé si Othmane [Othmane Benjelloun, ndlr] qui a compris l’enjeu impérieux: “c’est l’appel de la patrie, j’aurais fait comme toi, je te félicite et je t’encourage“. C’est comme ça qu’il a immédiatement réagi.

 

-Comment se sont passés les premiers jours en tant que ministre des Finances?

-Un mélange d’émotions, de stress, de désir ardent de servir le pays.

J’avais des difficultés à accéder à mon bureau situé place de la Kasbah, à cause des manifestants et des sit-in.

J’étais animé par un désir ardent de servir mon pays. N’importe quel Tunisien aurait agi comme moi.

Les premiers moments étaient très difficiles. Il y avait des centaines de décisions qu’il fallait prendre très vite.

Il y avait des centaines, ou des milliers d’entreprises qui étaient incendiées. Des demandes qui fusaient de partout, des pressions sociales, il n’y avait que des urgences.

En même temps, le ministère devait tourner d’une manière normale.

Je pense que c’est cette administration tunisienne qui a sauvé la Tunisie pendant ces moments historiques. Elle a assuré la continuité de l’Etat, avec un sens du devoir, une abnégation de tous les moments. Des ministères étaient encerclés, pris à partie par les manifestants, mais les fonctionnaires se présentaient tous les jours à leur bureau pour faire leur devoir.

Notre gouvernement a géré le pays par décrets, car il n’y avait plus de constitution ni d’assemblée législative. Le côté pratique, c’est que la procédure était rapide.

Quand Béji Caid Essebsi est arrivé, il m’a chargé de tout le pôle économique et financier. Une liberté d’action qui m’a permis d’agir très très rapidement.

 

– Quelle était la situation des finances publiques?

-La situation n’était pas aussi mauvaise qu’on le disait, nous avions des réserves, aussi bien en trésorerie que des réserves de change; nous n’avons pas trop souffert au début à ce niveau. Nous avons puisé dans les réserves.

Le déficit budgétaire était très faible, moins de 3%. L’endettement était également faible, 40% du PIB.

La situation était gérable mais les demandes fusaient de partout. Il y avait une panique  généralisée, mais nous n’avons pas cédé à la panique, nous avons gardé la tête froide pour prendre des décisions que nous n’avons pas regrettées par la suite. Nous avons pu gérer au mieux.

 

-Avec le recul, vous avez été prudents ou laxistes?

-Prudents, certainement. J’avais toujours les yeux braqués sur les ratios d’équilibre. Si mes souvenirs sont bons, il y avait 4.3% de déficit budgétaire à mon départ des finances.

Il n’y a pas de as de décisions que je regrette. Je suis fier des choses que j’ai initiées.

Il y a eu des décisions que j’étais obligé de suivre, par exemple le programme Amal d’embauche. J’avais fixé un nombre maximum de bénéficiaires mais d’autres parties du gouvernement en avaient décidé autrement.

J’ai initié d’autres décisions, par exemple en faveur des soldats, bloqués dans les zones éloignées, sous formes de primes et d’amélioration des salaires.

-Quelle était l’ambiance au sein du gouvernement?

-Magnifique. Je n’ai gardé que de bons souvenirs, dans mes relations avec tout le monde, nous étions exaltés par la tâche et le défi, une époque passionnante.

Tout le monde n’avait qu’un seul objectif, servir le pays, il y avait une angoisse permanente mais on la surmontait, nous n’avions pas peur des problèmes, nous n’avions pas peur de les affronter.

 

-Et Béji Caid Essebsi, quel premier ministre a-t-il été?

-J’avais une relations excellente avec lui. J’ai trouvé en lui quelqu’un de très perspicace et serein, j’avais une relation presqu’amicale avec lui, des émotions très positives.

Son objectif était politique, réussir les élections. C’est un objectif qui a été atteint.

Au conseil des ministres, il y avait toujours les ministres de la Défense et celui de l’Intérieur qui venaient avec leurs statistiques de sécurité, deux à quatre pages d’incidents. Quelques jours avant la tenue des élections, les pages étaient blanches, il n’y avait plus d’incidents.

 

-En fait, être ministre sous la révolution, c’est éteindre les incendies…

-Pas seulement. Au ministère des Finances, j’ai initié des réformes du cadre réglementaire. Malgré la situation, j’ai créé la Caisse de dépôt et de consignation, CDC, qui est maintenant opérationnelle. J’ai aussi lancé le fonds générationnel qui devait être un fonds très important de promotion de l’investissement privé car la croissance passe avant tout par l’investissement. On devait le doter d’une somme qui était disponible à la Banque centrale, 1 milliard 600 millions de dollars, l’équivalent de 2 milliards 500 millions de dinars, comme montant initial. Dans la stratégie que j’avais présentée, on devait doubler cette somme, en l’espace de trois ou quatre ans.

Ce fonds devait intervenir dans les investissements privés et mixtes, aider les investisseurs à renforcer leurs fonds propres pour monter des projets beaucoup plus ambitieux.

J’ai lancé trois réformes réglementaires: la micro-finance, la refonte complète du cadre qui touche le capital investissement pour promouvoir les PME-PMI et enfin, la loi sur le partenariat public privé. J’ai aussi structuré et présenté le Plan Jasmin.

 

-Pendant ces périodes instables, est ce que vous vous rendiez compte de l’affaiblissement de l’Etat ?…

-Nous nous rendions compte d’un changement fondamental, majeur dans le pays, c’est le rejet de l’existant. L’Etat est la cible la plus visible, que l’on attaque le plus facilement, mais derrière l’Etat, il y avait tout un système qui était réellement pourri et qui était rejeté.

 

-Pendant cette période, la Tunisie avait été invitée au G8.

– Au G8, j’étais le sherpa de Béji Caid Essebsi. J’étais le seul Tunisien à avoir assisté au discours qu’il a prononcé devant les chefs d’Etat du G8, un discours qui m’a énormément touché, je regrette qu’il n’ait jamais été diffusé, mais je crois que c’est la règle au G8.

Le Premier ministre a parlé de la Tunisie, de ses aspirations, de la transition, de la démocratie, il a surtout parlé de l’islam et de la démocratie. Il a démontré que l’islam et la démocratie peuvent aller de pair. Un discours percutant qui a beaucoup touché les présidents qui étaient là, ils l’ont tous félicité.

 

-Finalement, quel est l’impact d’une révolution sur le plan économique: la demande de rente par la population, la pression des syndicats, l’absence de visibilité aux opérateurs?…

-Tout cela et plus encore. J’ajouterai l’émergence très inquiétante d’un marché parallèle nourri par la contrebande; l’émergence du terrorisme; la circulation des armes tandis que la prise de décision devient parfois compliquée du fait de l’affaiblissement de l’Etat et que les problèmes non réglés s’accumulent et se cumulent.

La Tunisie a besoin de se stabiliser d’un point de vue politique, elle a besoin d’un gouvernement fort, de décisions fortes pour régler les problèmes structurels, particulièrement dans le secteur public et l’administration.

 

-Quelles sont les personnalités qui vous ont marqué pendant cette transition?

-Béji Caïd Essebsi m’a impressionné, c’est un vrai politique, il a su à sa manière rétablir la confiance des Tunisiens, leur donner un brin d’espoir, il a su gérer les relations entre des partis politiques assoiffés de pouvoir et très exigeants, il a su naviguer avec succès, je garde une haute opinion de lui, de la manière dont il a géré cette période.

 

-Donc en décembre 2011, vous quittez le gouvernement tunisien mais pas la Tunisie…

-Je reste très actif dans la société civile, dans une dizaine d’associations, je donne des conférences, j’ai écrit un livre “La route du jasmin“, j’ai lancé un groupe technologique où j’ai recruté une quarantaine de jeunes,  un groupe qui a des ambitions en Tunisie, au Maroc, et en Afrique à partir du Maroc.

 

-Vous êtes désormais candidat à la présidence de la BAD…

-Le gouvernement tunisien a décidé de soumettre ma candidature à la présidence de la BAD. L’élection aura lieu en mai 2015.

Je suis un passionné de l’Afrique. A  la BMCE, je suis très fier d’avoir initié la stratégie africaine.

J’ai quelques idées concernant la BAD.

Cette institution peut jouer un rôle déterminant et historique à un moment où les yeux sont rivés sur l’Afrique.

Sans un système financier fort, il est impossible d’atteindre le potentiel économique de notre continent. L’investissement privé doit également être une priorité, c’est lui qui permettra d’atteindre des niveaux de croissance élevés; le troisième axe concerne les PME-PMI, pour lesquelles il fait des idées innovantes ; le quatrième axe concerne les projets d’infrastructures, sans lesquels le potentiel de développement ne sera jamais atteint. Il y a bien sûr les villes car 50% de cette population va se trouver dans les zones urbaines, l’énergie, l’économie verte… C’est titanesque.

 

-Après toutes ces années passées dans le Royaume, qu’est-ce que vous gardez du Maroc…

-Je le considère comme mon pays, ma deuxième patrie, il m’a pris dans ses bras, m’a donné la plus grande opportunité professionnelle de ma vie, à la BMCE.

Je suis toujours au Maroc, ma famille est toujours là, le Maroc a vu grandir mes enfants qui parlent aussi bien le dialecte marocain que tunisien, ils se sentent chez eux ici comme en Tunisie. C’est un pays que je porte dans mon cœur, qui m’a également permis de me révéler à moi-même, de révéler ma capacité musicale. C’est au Maroc que j’ai partagé mon œuvre musicale, une œuvre unique, je ne sais pas si j’aurais pu avoir cette opportunité dans d’autres pays.

Je suis absolument ébloui par le développement extraordinaire en matière de d’infrastructures, il y a eu énormément d’efforts et je sais que c’est la vision de Sa Majesté qui est derrière cela.

La grande frustration que je partage avec d’autres amis du Maroc, c’est que tout cet investissement que le Maroc a fait et continue de faire ne s’est pas encore traduit en valeur ajoutée économique. La croissance reste assez moyenne. Avec son positionnement stratégique, l’attrait de l’investissement et les infrastructures, le Maroc n’a pas encore atteint son potentiel en matière de croissance et je suis certain que dans quelques années, il va émerger. Ce sera un palier à passer et lorsqu’il sera atteint, je suis sûr que le Maroc ne reviendra plus à des niveaux de croissance inférieurs.

 

-Gardez-vous des relations avec Othmane Benjelloun?

-Ma relation avec si Othmane a toujours été exceptionnelle. Je viens de passer cinq jours avec lui à Tunis dans le cadre de la visite de Sa Majesté: il est très content de cette stratégie africaine il m’a annoncé que 42% des résultats de la banque viennent aujourd’hui de l’Afrique et que toutes les initiatives que nous avons lancées commencent à donner leur fruits, y compris la fameuse filiale londonienne, qui est déjà profitable.

J’ai toujours éprouvé une grande admiration pour lui. Je me sens libéré des contraintes d’une relation professionnelle pour retrouver une relation amicale.

Naceureddine Elafrite

source : medias24

 

 

 

Jamel Arfaoui
Présentation
مقالات ذات صلة

الأكثر شهرة