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Le nouvel observateur : L’incroyable histoire du lac de Gafsa surgi en plein désert

Début juillet, une étendue d’eau surgit au milieu d’une zone aride, à côté de carrières de phosphate. Dans un premier temps, tout le monde veut croire au miracle…

Belkacem ne se souvient plus de la dernière fois où il s’est baigné. Cela devait être il y a cinq ou six ans dans la source, aujourd’hui tarie, de l’ancienne piscine thermale de Sidi Ahmed Zarrouk, au sud de Gafsa. Il avait trempé ses pieds, passé un peu d’eau sur sa nuque. Le ruisseau est resté longtemps son seul loisir. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un lit de gravier et de cailloux.

Ici, dans cette région aride du centre de la Tunisie, où la température dépasse 45 °C l’été, l’eau est un “luxe, dit-il, un don du ciel”. Alors quand son fils lui a parlé d’un lac mystérieux, surgi à une vingtaine de kilomètres de Gafsa, sur la route d’Om Laârayes, non loin de la frontière algérienne, il est parti avec son pick-up rouillé et sa bouée noire. L’ancien maçon de 64 ans, à la moustache grise et au sourire de môme, qui n’a jamais vu la mer et ne sait pas nager, a barboté des heures durant dans l’eau verdâtre.

Dans la région, l’endroit est désormais connu sous le nom de “Gafsa Beach”. Début juillet, en plein ramadan, la nouvelle de sa découverte a enflammé le web tunisien. Une étendue d’eau de 1 hectare et de 18 mètres de profondeur apparue du jour au lendemain, dans un décor lunaire, fait de sable, de rocaille et de canyons, sans un buisson qui survive, sans un arbre qui pousse ?

Une ambiance de station balnéaire. Partout, des baigneurs, des canoës, des planches à voile, des bus à l’arrêt, des parasols, des tentes, des familles entières, des grand-mères voilées de noir, des jeunes installés autour de bières, des gamins venus des hameaux alentour qui n’ont pas l’eau courante et sont obligés d’aller aux bains maures pour prendre une douche.

Le soir même, Lakhdar Souid diffuse un sujet sur Radio Tunis Chaîne internationale (RTCI). Le lendemain, il envoie ses premières photos sur Facebook. La page de la communauté du lac de Gafsa compte aujourd’hui plus de 6 900 “j’aime”. Elle déborde de clichés de soleils couchants, de vidéos de plongeons, de commentaires sur la beauté paradisiaque du site.

La légende est née. On a parlé de magie, de miracle, d’un signe d’Allah, d’injustice enfin réparée… Gafsa Beach est apparue au cœur du bassin minier, dans une des régions les plus déshéritées du pays. Un des plus forts taux de chômage (plus du quart de la population), le plus faible pourcentage de réussite au bac, dix fois moins de routes carrossables par kilomètre carré qu’à Tunis, pas de radiologue dans l’hôpital régional, pas d’équipements sportifs, pas de loisirs pour les jeunes : ils traînent le soir sur les pelouses des ronds-points, au milieu des voitures…

Effacer la misère, la malédiction

Avant son lac, la région était d’abord connue pour ses sous-sols. La puissante Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), fleuron de l’industrie tunisienne, a répandu ses usines et ses carrières à Metlaoui, Redeyef, Om Laârayes, Mdhilla. Elle pompe, chaque année, des millions de mètres cubes d’eau pour laver les minerais et déverse ses déchets dans les oueds.

Assèchement des nappes phréatiques, pollution. Il est loin le temps où Gafsa était un grenier, gorgé de dattes et de figues, et Metlaoui un jardin célèbre pour ses roseraies. L’agriculture et l’élevage se sont réduits comme peau de chagrin. Les sources ont disparu les unes après les autres. L’eau s’est faite très rare.

Mais il a fallu déchanter. Très vite, quelques jours après la “découverte”, la Protection civile recommande d’éviter la baignade dans une “eau de provenance inconnue et non sécurisée”, comme le résume son directeur régional Atef Ouij. La rumeur publique parle de radioactivité liée aux phosphates, de risque de cancer…

Le lac existe en fait depuis 2003

Début août, le ministère de la Santé enterre les dernières chimères. Un communiqué confirme, après analyses, que l’eau est polluée et interdit les bains. Pire encore, le lac de Gafsa n’a pas surgi miraculeusement de terre pendant le dernier ramadan, révèlent les pouvoirs publics. Il existe depuis 2003. Simplement, là où il est, au milieu de nulle part, personne n’y avait fait attention.

Qualifié de “sorte d’étang d’eaux stagnantes” par le texte du ministère, il est classé depuis sa naissance comme “foyer potentiel de prolifération des moustiques”. Il s’agit d’une ancienne carrière à ciel ouvert, exploitée par la CPG en 2002, qui a été envahie par l’eau. Comme l’a été l’ancienne exploitation de Loussaief, près de Metlaoui, à quelques kilomètres de là.

Le phénomène apparemment incroyable est en fait fréquent. Il pourrait s’expliquer par une arrivée convergente de sources d’eau, par une variation du niveau de la nappe phréatique, ou par une rupture de son étanchéité à l’occasion d’une secousse tellurique voire d’un ébranlement du sous-sol après un des tirs de mines régulièrement pratiqués par la CPG.

Interdiction de baignade

Le lac de Gafsa va sans doute rester le mirage d’un seul été. Le gouvernorat veut fermer la piste qui permet d’y accéder et installer un panneau explicite d’interdiction. Les détritus, bouteilles vides, canettes, sacs en plastique, couches-culottes, paquets de cigarettes s’empilent sur les rives. L’eau, encombrée d’algues, de grenouilles, est de plus en plus verte.

Mohammed, 26 ans, animateur social au chômage, y est allé au début, quand l’eau est restée coupée dix jours durant, de 5 heures du matin à minuit, chez lui, cité Essourour, dans la banlieue de Gafsa. Maintenant, il trouve le lac trop sale. Il préfère les deux petits bassins romains de la médina, qui, par un hasard heureux, ont rouvert fin juillet après être restés fermés vingt ans et ne désemplissent pas.

A Gafsa Beach, en revanche, les baigneurs sont de moins en moins nombreux. Anouar, 17 ans, et Bilel, 15 ans, collégiens d’Om Laârayes et fils de chômeurs, continuent pourtant de venir presque tous les jours, en stop, avec du pain, trempé dans la harissa, et quelques figues en guise de déjeuner. “Ici, disent-ils, on a la mauvaise vie, pas de stade pour jouer au foot, pas d’argent pour aller voir ailleurs.” Alors ils s’en moquent que l’eau polluée les rende malades. Ils ont enfin trouvé le moyen d’oublier qu’ils sont nés au mauvais endroit, dans le bassin minier, au milieu du désert tunisien.

selon le nouvel observateur  le 23-08 -2014

Jamel Arfaoui
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