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La vérité est un droit, mais surtout un devoir

Hager Ben Cheikh Ahmed***

La vérité. Voilà un mot qui fait peur. Enfant, on nous a appris à dire la vérité, c’est d’ailleurs de la bouche des enfants qu’elle sort souvent. Pourtant certains, en devenant adultes, auront quand même appris à mentir, ou à taire la vérité. Antoine de Rivarol écrivait dans ses Maximes, pensées et paradoxes, qu’il était parfois raisonnable de taire certaines vérités (« la raison –écrivait-il – se compose de vérités qu’il faut dire et de vérités qu’il faut taire »). D’ailleurs la nuance est de taille, mentir reviens à déformer la réalité des faits, tandis que taire la vérité, reviens à l’étouffer. Peut-on ou doit-on toujours dire la vérité ? Grand dilemme ! car le pouvoir relève de la faculté, tandis que le devoir de l’obligation. Quelle qu’elle soit, et même si elle n’est pas toujours bonne à dire, la vérité doit être dite, sinon pourquoi jurerons-nous de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ?

 

Pour cette vérité, certains seront prêts à se battre, à mourir, à encourir procès, menaces de toutes sortes, accusations, diffamation, atteinte à la dignité et attaques en tout genre. Pour taire la vérité, certains seront prêts à être des criminels, iront jusqu’à mentir, manipuler, payer, menacer, torturer ou même tuer.  Décidément, la vérité est un bien très précieux ! Elle confère force et pouvoir, mais surtout elle transforme, apaise, réconforte, et éclaire.

Je ne cesserais jamais de le scander : la vérité est un droit pour ceux qui la cherchent, et un devoir pour ceux qui la détiennent.

 

Ce droit à la vérité….

 

La vérité est un droit. Un droit et pas des moindres, elle fait partie des droits et libertés constitutionnellement garantis. En effet, le pouvoir constituant, en consacrant un droit d’accès à l’information, dans l’article 32 de la constitution, avait entendu ainsi consacrer un droit d’accès à des « vérités », l’information étant par définition un renseignement, ou une indication que l’on donne sur des faits ou des évènements réels. Une certaine lecture de l’article permet cette interprétation en tout cas.

La recherche de la vérité consiste à établir la réalité des faits, en rapportant la preuve de l’existence de ces faits. Dans son acception juridique, la notion de vérité est « ce dont on peut rapporter la preuve ». Dans ce contexte, elle connait des limites, sans pour autant atteindre celles qu’on lui donne en philosophie où elle est dite « ni absolue, ni stable, ni univoque » (Michel Foucault, cours au collège de France).

Aujourd’hui, les citoyens sont donc en droit d’exiger ce droit à une vérité qu’on ne connait pas et à laquelle on aspire. Ce droit- créance à la charge de l’Etat et des institutions publiques, contraste fortement depuis la promulgation de la constitution, avec une administration caractérisée déjà – bien avant les évènements de janvier 2014 – par une opacité de fonctionnement. La boite noire ne livre jamais ses secrets et ne laisse voir que son aspect extérieur.

Qu’est-il arrivé un certain 14 janvier 2011 ? Et sommes-nous en mesure de dire aujourd’hui, que l’attroupement des milliers de citoyens à l’avenue avait fait partir le dictateur devant lequel tout le monde tremblait ? Quand bien même, serait-il parti en laissant ses lunettes, son ordinateur personnel et son manteau ? Et la régente qui s’était mise soudain, à entasser pêle-mêle vêtements, argent et bijoux, a-t-elle décidé de partir ou l’a-t-on convaincue de le faire ? Elle qui croyait posséder le pays entier, et avoir tout le monde à ses pieds. Où sont aujourd’hui les rapports de toutes ces institutions liées à la sphère du pouvoir et dont le fonctionnement ne s’étaient jamais arrêté ?

Il ne faut pas être une lumière pour comprendre qu’avant de chercher les réponses, il faut poser les bonnes questions. Avant de décrire ce qui est visible, il faut aller chercher ce qu’on ne voit pas, et écouter ceux à qui on n’a pas parlé. Plusieurs versions nous avaient été servies sur cette date mystère, et malgré les recoupements, elles demeurent légèrement en marge de la vérité. Ce n’est pas qu’on ait menti, mais plutôt quelqu’un, quelques-uns ont décidé de ne pas tout dire. Les autorités n’ont jamais révélé une version officielle des faits, et tous ceux qui savent ne disent pas, de qui ont-ils peur ? Pourquoi cette vérité ne doit pas se savoir ? Beaucoup de questions étaient restées sans réponses ? Le départ précipité ou bousculé du couple présidentiel ? L’avion présidentiel renvoyé ou rappelé ? Par qui ? Les témoins de l’arrestation des Trabelsi qu’on n’a pas voulu écouter ?

Est-ce pour entretenir l’illusion de la victoire d’un peuple sur son bourreau, ou est-ce pour protéger les maladresses de certains politiques, ayant pris des décisions à la hâte ? Ou est-ce encore pour effacer à jamais les méfaits de ceux qui ont conspiré dès les premières étincelles du soulèvement populaire ?

Peut-on bâtir un Etat nouveau en faisant table rase du passé ? Peut-on passer à autre chose et feindre l’amnésie sur une journée aussi cruciale de notre histoire ? Il est difficile de l’admettre dans le contexte actuel, car on ne peut accepter de reconstruire les bases de la société, sans pour autant solder le passé, étape indispensable également pour établir la réconciliation nationale.

Ce droit d’accès la vérité, que nous garantit aujourd’hui la constitution est étayé par l’article 2 de la loi organique relative à la justice transitionnelle, qui en fait également un « droit garanti par la loi pour tous les citoyens, sans préjudice de leurs données personnelles et dans le respect de leurs intérêts et de leur dignité ».  Ce droit pour les citoyens en quête de vérité englobe « l’ensemble des moyens, procédures et enquêtes mis en œuvre pour démanteler le système despotique, et cela à travers la délimitation de toutes les atteintes, leur identification, la connaissance de leurs motifs, de leurs circonstances et les conditions dans lesquelles elles se sont produites, de leurs auteurs, des résultats qui en découlent, de leur emplacement, des auteurs de ces actes et de ceux qui en sont responsables » ( article 4 de la loi organique).

Il faut dire que les deux premières commissions créées à cet effet, les commissions d’investigation sur la corruption et les malversations et la commission d’investigation sur les violences avaient contribué à faire la lumière sur une partie de ce passé pas si lointain et à dévoiler un pan de la mémoire collective. Et même si ces commissions furent considérées comme le noyau ou la pierre angulaire de la justice transitionnelle, en réalité leurs rapports étaient élaborés à la lumière des dossiers et des plaintes déposées par les victimes, étayés par des documents ou des déclarations fournis par ces dernières, sans grand effort d’investigation.

Pour la commission d’investigation sur les violences par exemple, le décret-loi n°8 lui donnait un faible pouvoir d’investigation qui était justifié par le fait que ces commissions ne pouvaient se substituer à la justice, dont le rôle est de conduire ces enquêtes.

Aussi, on attendait beaucoup de l’instance « vérité et dignité », pour ne pas être simplement une enceinte d’écoute, ou un service de recensement des victimes mais également pour mener des enquêtes sérieuses afin d’établir la réalité des faits, étape nécessaire à la détermination des faits, à l’identification des coupables, et à la préservation de la mémoire collective, et qui doit précéder toutes les autres étapes de la justice transitionnelle.

Quatre ans après, le processus de justice transitionnelle piétine encore, et à qui cela profite-t-il ? Certainement pas à ceux qui attendent la vérité, ceux qui attendent de tourner la page, mais bien évidement à ceux qui se sont rempli les poches entre temps, ou trouvé leur compte, sans autre reste.

Peut-être qu’il ne suffisait pas qu’elle soit un droit, la vérité doit être aussi un devoir !

 

Du devoir de vérité…

 

Le silence est d’or, et est salutaire parfois. Il confère autoprotection et évite à cette vérité qu’elle soit piétinée sur les colonnes d’un journal ou qu’elle passe en bribes de conversations, dans une émission à grande audience, où on verra le show, bien plus que le contenu, et qu’on aura noyé le lendemain dans le flot des nouvelles et des faits divers quotidiens.

Dans ce silence pesant de ceux qui savent et qui ne disent rien, il y a des vérités qui étouffent, et des compromis salvateurs. Je l’ai vu parfois dans le regard furtif de quelques personnes qui la détenaient, je la vois encore parfois le matin quand je me regarde dans le miroir, et que l’espace d’un instant elle fait mine de vouloir se détacher, avant de repartir vers ma solitude intérieure.

De ceux qui ont croisé ma route et qui savent, je n’ai pu aider personne à dire la vérité, car ils doivent s’aider eux-mêmes. Chacun peut à lui seul mesurer l’impact de ses mots et de la vérité qu’il détient. En cela, on a besoin de ne pas se savoir seul, et d’affronter le monde avec des garanties.

Or, quatre années après l’avènement de la liberté, alors que nous n’avions cessé de réclamer plus de protection pour les témoins, pour les magistrats, pour ceux qui « traitent » la vérité et la détiennent, pour ceux qui ont le courage de leurs opinions et de dire la vérité, aucun mécanisme juridique ne permets aujourd’hui de mettre en place une protection efficiente qui permettrait de protéger voire d’immuniser les témoins. Certes, le texte susmentionné insiste sur le respect des données personnelles, mais pour étouffer la vérité, certains sont prêts à tout, jusqu’à acheter des données, copier, déchirer, falsifier, hacker ou accéder.

Pourquoi la vérité est-elle un devoir ?

Je pourrais me baser sur le principe de transparence, principe constitutionnel par ailleurs, pour dire que savoir la vérité permet de ne pas douter. Ne pas douter de l’Etat, de ses institutions, de sa version des faits, de ses programmes, de ce qu’il nous raconte comme histoire, comme histoires. Mais il y a une cause plus noble au dévoilement de la vérité, car la découverte de la vérité, de la matérialité des faits est une étape cruciale dans le processus de justice transitionnelle puisqu’elle permet d’identifier les atteintes, de réparer le préjudice subi aux victimes et de réprimer les coupables. Pour les victimes et leurs familles, il est quasiment impossible de faire son deuil sur ce qui s’est passé, si le voile n’est pas levé sur la vérité. Car, comprendre ce qui s’est réellement passé est déjà une forme de reconnaissance du sacrifice.

Je pense souvent à toutes ces mères que j’ai connues lors de mes déplacements sur le territoire de mon pays, à qui on a ramené un jour la dépouille ou les morceaux d’un fils, unique parfois, unique soutien tant d’autres, un fils est un fils même si on en a une ribambelle. Je pense à ceux qui ont perdu un bras, une jambe, un œil et pour qui la vie ne sera plus jamais la même, à ceux qui jamais ne feront leur deuil sans cette vérité amère, même si parfois difficile à dire ou à admettre : « je préfère parfois une vérité nuisible à une erreur utile : la vérité guérit la mal qu’elle a pu causer » écrivait Goethe.

Outre cet apaisement des proches, outre le souci de justice, la vérité contribue à édifier la mémoire populaire et notre histoire collective et il serait criminel qu’elle contienne des zones d’ombre, par crainte de dire ou par peur de mourir pour l’avoir dit.

Doit-on attendre encore un demi-siècle au moins pour savoir, ou bien ceux qui la détiennent la concéderont par bribes, au fur et à mesure que des protagonistes quitteront ce monde et ne seront plus là pour se défendre, accuser ou démentir. D’ailleurs à quoi bon avoir des fragments de vérité qui la compliquent, bien plus qu’ils ne la dévoilent.

J’invite aujourd’hui ceux qui savent à ne plus taire cette part de vérité, aussi petite soit-elle. Peut-être faut-il s’armer de courage, peut être que tous les témoins doivent parler en même temps, peut être aussi qu’il faut attendre qu’il y ait des garanties, peut-être encore qu’il faut de tout ça ensemble, mais le plus important c’est qu’on ne doit jamais laisser cette vérité mourir en nous, elle doit rester intacte jusqu’à sortir au grand jour.

Ayez le courage de la vérité que vous détenez, il vaut mieux vivre en assumant cette vérité, que mourir étouffé de son silence.

A vos consciences ! chers concitoyens.

*** Juriste universitaire

Ex porte-parole de la commission nationale

D’investigation sur les violences

 

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