AccueilاقتصادEn Tunisie, le secteur bancaire doit encore faire sa révolution

En Tunisie, le secteur bancaire doit encore faire sa révolution

Secteurs surendettés, PME sous-financées, inégalité des chances face à l’accès au crédit, faible gouvernance, recapitalisation coûteuse pour le contribuable tunisien… Ce n’est un secret pour personne, les banques tunisiennes n’assument pas suffisamment leur rôle en tant que principale source de financement de l’économie, et en particulier des PME qui sont le poumon de l’économie et les principales créatrices d’emplois. Pour redonner de l’oxygène à l’économie et aux entreprises, cinq réformes seraient nécessaires.
Les entreprises trop protégées, les taux d’intérêts trop encadrés
La première concerne la loi sur les entreprises en difficultés économiques (loi 95-34). Bien qu’une certaine protection soit nécessaire pour les entreprises en difficultés, une loi trop protectrice, comme en Tunisie, produit des effets pervers. D’abord elle est nocive pour les acteurs économiques eux-mêmes car les débiteurs défaillants continuent d’exploiter leurs entreprises, imposant ainsi une concurrence déloyale aux autres acteurs. Avec désormais 2,2 milliards de dinars de dettes bancaires impayées (soit 2/3 du total contre 1/3 avant la révolution), le secteur du tourisme est un bel exemple de ce phénomène d’autodestruction. Mais surtout, elle agit comme un véritable épouvantail pour les banques qui n’ont pas d’autre choix que d’adopter une attitude ultra-conservatrice par rapport à la distribution du crédit. Enfin, au-delà du problème pour le secteur lui-même et les banques, ces milliards de dinars ne circulent plus sous la forme de nouveaux crédits à l’économie. Bref, tout le monde y perd.
Le deuxième grand problème est celui de l’encadrement des taux d’intérêt. Le plafonnement des taux d’intérêts bancaires imposé par la Banque Centrale vise à protéger les clients des banques des abus possibles. Ce faisant, ce plafonnement exclut bon nombre d’entreprises, comme par exemple les jeunes entreprises ou les entreprises qui ne disposent pas de suffisamment de garanties, à qui les banques ne sont pas autorisées à proposer des taux qui leur permettraient de couvrir leur prise de risque supplémentaire. Cette loi protège-t-elle vraiment les clients? N’y a-t-il pas d’autres moyens de limiter les abus sans pour autant limiter l’accès au crédit?
Trop peu d’information, trop peu de modernisation
Le troisième problème est sans aucun doute celui du manque d’information sur la capacité de remboursement des clients (et futurs clients surtout) des banques. Il existe dans de très nombreux pays ce que l’on appelle des bureaux de crédit privés. Ce sont des sociétés qui collectent, stockent et compilent des informations, principalement sur les incidents de paiement et les dettes accumulées par les agents économiques (entreprises, entrepreneurs individuels ou consommateurs). En l’absence de tels systèmes, les banques ne prêtent qu’aux clients bien connus (ceux qui ont déjà eu des crédits ou sont bien connectés dans les milieux d’affaires), au détriment des nouveaux entrepreneurs, des jeunes, ou des acteurs économiques des régions mal desservies par les banques. La Tunisie peut-elle encore se payer le luxe ne pas avoir son bureau de crédit en 2014?
Il est clair également que le secteur bancaire doit se moderniser pour mieux répondre aux besoins du secteur privé. Pour cela, la Banque Centrale a un grand rôle à jouer grâce à la modernisation du cadre réglementaire bancaire. Un cadre réglementaire bien pensé a en effet vocation à pousser les banques à mieux calculer leurs risques et à adopter des modes de gestion plus performants. Les banques seraient ainsi mieux outillées pour innover, conquérir de nouveaux marchés, en bref, mieux répondre aux besoins des demandeurs de crédit.
Le rôle encore flou des banques publiques
Enfin, comment ne pas évoquer la nécessaire et urgente réforme des banques publiques? Depuis des années, elles souffrent d’un positionnement stratégique insoutenable. Doivent-elles continuer à concurrencer les banques privées tout en appuyant les politiques de développement de l’État (logement, agriculture)? Doivent-elles continuer à recevoir les dépôts du public sans un mode de gouvernance prônant la transparence vis-à-vis du contribuable tunisien et une certaine redevabilité de leurs activités? Il est clair que si ces questions ne sont pas résolues rapidement, le contribuable tunisien devra régulièrement recapitaliser les banques publiques. Il y a eu une recapitalisation en 2013 (environ 100 million de dinars) mais ce n’est sans doute rien comparé à la facture pour 2014 et 2015 que les audits en cours dans les trois principales banques publiques pourraient bientôt révéler. Au-delà de l’aspect purement budgétaire, les recapitalisations à répétition sans réformes imposeraient également aux banques privées une forme de concurrence déloyale qui nuit au bon fonctionnement du marché et, in fine, aux clients des banques eux-mêmes.
Aller de l’avant. Ces réformes, dont certaines sont en cours de préparation, pourraient être concrétisées sous l’ère du nouveau gouvernement en place. Il est difficile d’estimer précisément le manque à gagner pour l’économie tunisienne qui résulte d’un secteur bancaire peu performant économiquement, ou plus concrètement, le nombre d’entrepreneurs tunisiens qui n’ont pas eu accès au crédit pour réaliser leurs rêves.
Toutefois, si l’on admet que ces réformes permettraient à la Tunisie de rattraper dans les dix prochaines années son retard en matière de développement bancaire, ce ne seraient pas moins de 20 milliards de dinars de crédit supplémentaires qui pourraient venir irriguer les entreprises tunisiennes (estimations Banque mondiale). Je laisse aux économistes le soin de calculer combien de milliers d’emplois cela permettrait de créer en Tunisie…
 
Laurent Gonnet
Spécialiste financier Afrique du Nord à la Banque mondiale
source :huffpostmaghreb

Jamel Arfaoui
Présentation
مقالات ذات صلة

الأكثر شهرة